Réindustrialisation : les territoires ont des cartes en main

Rédigé le 17/05/2024
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Bpifrance Le Lab dévoile les résultats d’une étude d’une ampleur inédite sur l’industrie et les territoires, réalisée avec le soutien de la Banque des Territoires.

 

Alors que la nécessité de réindustrialiser fait consensus depuis la crise du Covid, les moyens d’y parvenir font encore débat. C’est dans ce contexte que Le Lab de Bpifrance a déployé un dispositif exceptionnel pour comprendre le potentiel de développement industriel des territoires, quels sont leurs atouts au regard des besoins des industriels, et quel rôle joue la société civile. Ce sont au total 2828 dirigeants industriels et 5000 citoyens qui ont été interrogés, plus de 200 personnes interviewées, dont des industriels, des élus, représentants de l’Etat et des collectivités locales, ainsi que 4 métropoles visitées (Besançon, Châteauroux, Figeac, Valenciennes), 306 zones d’emplois étudiées à travers 27 bases de données publiques.

Il ressort de cette enquête que, alors même que l’implantation d’usines est parfois contestée localement, 82% des Français se disent favorables à la réindustrialisation et 83% déclarent que l’industrie française est une fierté pour les territoires.

Les Français attendent avant tout de la réindustrialisation qu’elle crée de nouveaux emplois : pour 44% d’entre eux (devant l’indépendance économique citée par 31%). L’enjeu est d’autant plus prégnant dans les régions qui ont été les plus touchées par la désindustrialisation.

Les secteurs industriels les plus plébiscités par les citoyens au niveau national sont la pharmacie et la santé à 60%, suivis par l’électrique et l’électronique (à 41%). Le secteur de l’énergie et du nucléaire est plébiscité par 28% des Français pour la France, mais seulement 9% à l’échelle locale. Les Français sont conscients des enjeux de souveraineté, mais craintifs des potentiels impacts négatifs d’une implantation d’un site industriel à proximité de leur domicile. C’est la pollution qui ressort comme premier impact négatif (à 52%), loin devant l’artificialisation des sols (à 31%).

Six industriels sur 10 ont un projet d’implantation en France, soit 1703 projets sur les 2828 répondants : 38% d’extension de site existant, 14% de création d’une nouvelle installation…).

Ces projets sont le reflet des ambitions de croissance des industriels qui prévoient d’accroître en moyenne leur chiffre d’affaires de 4% par an dans les trois prochaines années.

Derrière les intentions des industriels, se dessine une dynamique de grande proximité. 43% des dirigeants déclarent vouloir s’implanter à proximité directe de leur usine et 22% dans leur commune ou la commune voisine, preuve de leur rapport affectif au territoire. 86% déclarent y être personnellement attachés, parce qu’ils y ont grandi ou fait leurs études.

La pénurie de compétences est le premier frein local (frein très fort et plutôt fort pour 82% des répondants), devant la raréfaction du foncier (57% des répondants) et le manque d’infrastructures adaptées (35%). La faible qualité du dialogue avec les élus est citée comme un frein (très fort ou plutôt fort) par 25% des répondants, de même que l’acceptabilité sociale. A rebours des idées reçues, les besoins des industriels se concentrent sur du « petit foncier » aligné avec leurs projets d’extension. 69% des répondants ayant un projet de nouvelle implantation ont besoin de moins de 2 ha.

 

 

 

La taille des entreprises détermine le rapport au territoire de leurs dirigeants, leur stratégie de croissance et leurs critères d’implantation. Les PME privilégient le petit foncier et l’expansion de proximité. Les ETI ont besoin de foncier plus important (de 5 à 10 hectares) et de main d’œuvre. Elles sont également plus sensibles à la présence de ressources en eau et aux risques environnementaux. Enfin, les start-ups industrielles déclarent trois priorités : les infrastructures, les centres de recherche et la qualité de vie du territoire.

Le rapport au territoire des industriels est révélateur de leur stratégie d’implantation : les PME y sont très attachées et désirent y rester, les ETI le sont un peu moins et cherchent des territoires répondant à leurs besoins à mesure qu’elles grandissent en taille, les start-up industrielles – souvent implantées là où les dirigeants ont fait leurs études – ont une approche rationnelle du territoire dès les premiers stades de leur développement, guidés par la proximité avec les centres de recherche (instituts de recherche technologique…).

Les territoires ont de multiples atouts à faire valoir auprès des industriels, parmi lesquels le foncier et les infrastructures, la culture industrielle lisible à travers le tissu d’entreprises industrielles (nombre d’entreprises, nombre et taux d’emplois industriels, binôme Territoires d’industrie, etc.), les compétences avec les écoles de niveau Bac+3 formant aux métiers industriels, la qualité de vie (accès aux écoles, aux soins, etc.) valorisant les métropoles, et enfin la moindre exposition aux risques environnementaux.

Quatre profils de territoires émergent ainsi. Les locomotives historiques sont des territoires qui ont su réinventer leur outil industriel sans subir la désindustrialisation, grâce à une forte culture industrielle et l’impulsion de grands donneurs d’ordre. Par exemple : la Vallée de la Chimie en Rhône-Alpes, Lyon, Nantes ou Toulouse.

Les indépendants agiles représentent des territoires industriels ruraux, dotées d’une industrie autocentrée souvent liée à l’agriculture, caractérisées par une coopération solide et une spécialisation dans un nombre restreint de filières. Par exemple : Figeac, la Roche sur Yon, Ancenis.

Les rebonds sont des territoires ayant surmonté la désindustrialisation pour connaître une renaissance industrielle, tirant parti de leurs friches, de leur héritage manufacturier et de leur position géographique stratégique. Par exemple : les Hauts de France et le Grand Est.

Enfin, les néo-industriels désignent des territoires sans tradition industrielle mais qui connaissent une dynamique industrielle récente, appuyée par un écosystème d’innovation solide, des centres de formation et de recherche, et une base solide de cadres et d’ingénieurs. Par exemple : Montpellier.

Le tissu industriel existant représenterait ainsi deux tiers de la marche à franchir, le dernier tiers devant être réalisé par de nouveaux projets, français ou étrangers.

Derrière ces pourcentages, un choc d’emplois est à anticiper, puisque selon les hypothèses de croissance et de gains de productivité de Bpifrance Le Lab, la cible de réindustrialisation indiquée impliquerait entre 600 000 et 800 000 emplois nets créés à horizon 2035, soit entre 50 000 et 67 000 emplois salariés supplémentaires par an entre 2023 et 2035 (contre +32 000 en moyenne par an entre 2021 et 2023). Les compétences sont au cœur de la bataille de la réindustrialisation, dans la mesure où l’industrie compte déjà chaque année 60 000 postes non pourvus, et que si l’appareil de formation forme bien 120 000 jeunes par an, la moitié seulement reste dans l’industrie.